La Légende des Siècles eBook

This eBook from the Gutenberg Project consists of approximately 268 pages of information about La Légende des Siècles.

La Légende des Siècles eBook

This eBook from the Gutenberg Project consists of approximately 268 pages of information about La Légende des Siècles.
Un jour que nous etions en marche seuls tous deux, Et que nous entendions dans les plaines voisines Le cliquetis confus des lances sarrasines.  Le peril fut toujours de toi bien accueilli, Comte; eh bien! prends Narbonne et je t’en fais bailli.

  —­Sire, dit le Gantois, je voudrais etre en Flandre. 
  J’ai faim, mes gens ont faim; nous venons d’entreprendre
  Une guerre a travers un pays endiable;
  Nous y mangions, au lieu de farine de ble,
  Des rats et des souris, et, pour toutes ribotes,
  Nous avons devore beaucoup de vieilles bottes. 
  Et puis votre soleil d’Espagne m’a hale
  Tellement, que je suis tout noir et tout brule;
  Et, quand je reviendrai de ce ciel insalubre
  Dans ma ville de Gand avec ce front lugubre,
  Ma femme, qui deja peut-etre a quelque amant,
  Me prendra pour un Maure et non pour un Flamand! 
  J’ai hate d’aller voir la-bas ce qui se passe. 
  Quand vous me donneriez, pour prendre cette place,
  Tout l’or de Salomon et tout l’or de Pepin,
  Non! je m’en vais en Flandre, ou l’on mange du pain.

—­Ces bons Flamands, dit Charle, il faut que cela mange. 
Il reprit: 

           Ca, je suis stupide.  Il est etrange
  Que je cherche un preneur de ville, ayant ici
  Mon vieil oiseau de proie, Eustache de Nancy. 
  Eustache, a moi!  Tu vois, cette Narbonne est rude;
  Elle a trente chateaux, trois fosses, et l’air prude;
  A chaque porte un camp, et, pardieu! j’oubliais,
  La-bas, six grosses tours en pierre de liais. 
  Ces douves-la nous font parfois si grise mine
  Qu’il faut recommencer a l’heure ou l’on termine,
  Et que, la ville prise, on echoue au donjon. 
  Mais qu’importe! es-tu pas le grand aigle?

                                       —­Un pigeon,
  Un moineau, dit Eustache, un pinson dans la haie! 
  Roi, je me sauve au nid.  Mes gens veulent leur paie;
  Or, je n’ai pas le sou; sur ce, pas un garcon
  Qui me fasse credit d’un coup d’estramacon;
  Leurs yeux me donneront a peine une etincelle
  Par sequin qu’ils verront sortir de l’escarcelle. 
  Tas de gueux!  Quant a moi, je suis tres ennuye;
  Mon vieux poing tout sanglant n’est jamais essuye;
  Je suis moulu.  Car, sire, on s’echine a la guerre;
  On arrive a hair ce qu’on aimait naguere,
  Le danger qu’on voyait tout rose, on le voit noir;
  On s’use, on se disloque, on finit par avoir
  La goutte aux reins, l’entorse aux pieds, aux mains l’ampoule,
  Si bien qu’etant parti vautour, on revient poule. 
  Je desire un bonnet de nuit.  Foin du cimier! 
  J’ai tant de gloire, o roi, que j’aspire au fumier.

Le bon cheval du roi frappait du pied la terre
Comme s’il comprenait; sur le mont solitaire
Les nuages passaient.  Gerard de Roussillon
Etait a quelques pas avec son bataillon;
Charlemagne en riant vint a lui.

Copyrights
Project Gutenberg
La Légende des Siècles from Project Gutenberg. Public domain.