Je partis de Vienne dans la compagnie de mondit seigneur de Valse et de messire Jacques Trousset. Le premier se rendit a Lints, aupres de son epouse; la second dans sa terre.
Apres deux journees de marche nous arrivames a Saint-Polquin (Saint Pelten), ou se font les meilleurs couteaux du pays. De la nous vinmes a Melich (Maeleh) sur le Danube, ville ou l’on fabrique les meilleures arbaletes, et qui a un tres-beau monastere de chartreux; puis a Valse, qui appartient audit seigneur, et dont le chateau, construit sur une roche elevee, domine le Danube. Lui-meme me montra les ornemens d’autel qu’a le lieu. Jamais je n’en ai vu d’aussi riches en broderie et en perles. J’y vis aussi des bateaux qui remontoient le Danube, tires par des chevaux.
Le lendemain de notre arrivee, un gentilhomme de Baviere vint saluer mondit seigneur de Valse. Messire Jacques Trousset, averti de sa venue, annonca qu’il alloit le faire pendre a une aubepine qui etoit dans le jardin. Mondit seigneur accourut aussitot, et le pria de ne point lui faire chez lui un pareil affront. S’il vient jusqu’a moi, repondit messire, il ne peut l’echapper, et sera pendu. Ledit seigneur courut donc au devant du gentilhomme; il lui fit un signe, et celui-ci se retira. La raison de cette colere est que messire Jacques, ainsi que la plupart des gens qu’il avoit avec lui, etoit de la secrete compagnie, et que le gentilhomme, qui en etoit aussi, avoit meuse. [Footnote: Probablement il s’agit ici de franc-maconnerie, et le Bavarois que Trousset vouloit faire pendre etoit un faux frere qui avoit revele les mysteres de la compagnie secrete.]
De Valse nous allames a Oens (Ens), sur la riviere de ce nom; a Evresperch, qui est sur le meme riviere, et du domaine de l’eveque de Passot (Passau); puis a Lins (Lintz), tres-bonne ville, qui a un chateau sur le Danube, et qui n’est pas eloignee de la frontiere de Boheme. Elle appartient a monseigneur d’Autriche, et a pour gouverneur ledit seigneur de Valse.
J’y vis madame de Valse, tres-belle femme, du pays de Boheme, laquelle me fit beaucoup d’accueil. Elle me donna un roussin d’un excellent trot, un diamant pour mettre sur mes cheveux, a la mode d’Autriche, et un chapeau de perles orne d’un anneau et d’un rubis. [Footnote: Ces chapeaux, qu’il ne faut pas confondre avec les notres, n’etoient que des cercles, des couronnes en cerceau.]
Mondit seigneur de Valse restant a Lintz avec son epouse, je partis dans la compagnie de messire Jacques Trousset, et vins a Erfort, qui appartient au comte de Chambourg. La finit l’Autriche, et depuis Vienne jusque-la nous avions mis six journees. D’Erfort nous allames a Riet, ville de Baviere, et qui est au duc Henri; a Prenne, sur la riviere de Sceine; a Bourchaze, ville avec chateau sur la meme riviere, ou nous trouvames le duc; a Mouldrouf, ou nous passames le Taing. Enfin, apres avoir traverse le pays du duc Louis de Baviere, sans etre entres dans aucune de ses ville, nous arrivames a Muneque (Munich), la plus jolie petite ville que j’aie jamais vue, et qui appartient au duc Guillaume de Baviere.


