Je le croyois en Flandre, et en consequence, voulant me rendre pres de lui par les marches (frontieres) de Bar et de Lorraine, je pris la route de Vesou; mais a Villeneuve j’appris qu’il etoit a l’entree de Bourgogne, et qu’il avoit fait assieger Mussi-l’Eveque. Je me rendis donc par Aussonne a Dijon, ou je trouvai monseigneur le chancelier de Bourgogne, avec qui j’allai me presenter devant lui. Ses gens etoient au siege, et lui dans l’abbaye de Poitiers.
Je parus en sa presence avec les memes habillemens que j’avois au sortir de Damas, et j’y fis conduire le cheval que j’avois achete dans cette ville, et qui venoit de m’amener en France. Mondit seigneur me recut avec beaucoup de bonte. Je lui presentai mon cheval, mes habits, avec le koran et la vie de Mahomet en Latin, que m’avoit donnes a Damas, le chapelain du consul de Venise. Il les fit livrer a maitre Jean Germain pour les examiner; mais onc depuis je n’en ai entendu parler. Ce maitre Jean etoit docteur en theologie: il a ete eveque de Chalons-sur-Saone et chevalier de la toison. [Footnote: Jean Germain, ne a Cluni, et par consequent sujet du duc de Bourgogne, avoit plu, etant enfant, a la duchesse, qui l’envoya etudier dans l’Universite de Paris, ou il se distingua. Le duc, dont il sut gagner la faveur par la suite, le fit, en 1431, chancelier de son ordre de la toison d’or (et non chevalier, comme le dit la Brocquiere). L’annee suivante il le nomme a l’eveche de Nevers; l’envoya, l’an 1432, ambassadeur a Rome, puis au concile de Bale, comme l’un de ses representans. En 1436 il le transfera de l’eveche de Nevers a celui de Chalons-sur-Saone.
Ce que la Brocquiere dit de cet eveque annonce de l’humeur, et l’on concoit que n’entendant point parler des deux manuscrits interessans qu’il avoit apportes d’Asie, il devoit en avoir. Cependant Germain s’en occupa; mais ce ne fut que pour travailler a les refuter. A sa mort, arrivee en 1461, il laissa en manuscrit deux ouvrages dont on trouve des copies dans quelques bibliotheques, l’un intitule, De conceptione beatae Mariae virginis, adversus mahometanos et infideles, libri duo; l’autre, Adversus Alcoranum, libri quinque.]
Je me suis peu etendu sur la description du pays depuis Vienne jusqu’ici, parce qu’il est connu; quant aux autres que j’ai parcourus dans mon voyage, si j’en publie la relation j’avertis ceux qui la liront que je l’ai entreprise, non par ostentation et vanite, mais pour instruire et guider les personnes qu’un meme desir conduiroit dans ces contrees, et pour obeir a mon tres-redoute seigneur monseigneur le duc, qui me l’a ordonne. J’avois rapporte un petit livret ou en route j’ecrivois toutes mes aventures quand j’en avois le temps, et c’est d’apres ce memorial que je l’ai redigee. Si elle n’est pas composee aussi bien que d’autres pourroient le faire, je prie qu’on m’excuse.
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