point qu’il etait toujours en mesure de vous
tenir tete, et qu’avec sa rage de paris on n’avait
plus de repos. Il attrapa un jour une grenouille
et l’emporta chez lui, disant qu’il pretendait
faire son Education; vous me croirez si vous voulez,
mais pendant trois mois il n’a rien fait que
lui apprendre a sauter dans une cour retire de sa
maison. Et je vous reponds qu’il avait
reussi. Il lui donnait un petit coup par derriere,
et l’instant d’apres vous voyiez la grenouille
tourner en l’air comme un beignet au-dessus de
la poele, faire une culbute, quelquefois deux, lorsqu’elle
etait bien partie, et retomber sur ses pattes comme
un chat. Il l’avait dressee dans l’art
de gober des mouches, er l’y exercait continuellement,
si bien qu’une mouche, du plus loin qu’elle
apparaissait, etait une mouche perdue. Smiley
avait coutume de dire que tout ce qui manquait a une
grenouille, c’etait l’education, qu’avec
l’education elle pouvait faire presque tout,
et je le crois. Tenez, je l’ai vu poser
Daniel Webster la sur se plancher,—Daniel
Webster etait le nom de la grenouille,—et
lui chanter: Des mouches! Daniel, des mouches!—En
un clin d’oeil, Daniel avait bondi et saisi
une mouche ici sur le comptoir, puis saute de nouveau
par terre, ou il restait vraiment a se gratter la tete
avec sa patte de derriere, comme s’il n’avait
pas eu la moindre idee de sa superiorite. Jamais
vous n’avez grenouille vu de aussi modeste, aussi
naturelle, douee comme elle l’etait! Et
quand il s’agissait de sauter purement et simplement
sur terrain plat, elle faisait plus de chemin en un
saut qu’aucune bete de son espece que vous puissiez
connaitre. Sauter a plat, c’etait son fort!
Quand il s’agissait de cela, Smiley en tassait
les enjeux sur elle tant qu’il lui, restait un
rouge liard. Il faut le reconnaitre, Smiley etait
monstrueusement fier de sa grenouille, et il en avait
le droit, car des gens qui avaient voyage, qui avaient
tout vu, disaient qu’on lui ferait injure de
la comparer a une autre; de facon que Smiley gardait
Daniel dans une petite boite a claire-voie qu’il
emportait parfois a la Ville pour quelque pari.
“Un jour, un individu etranger au camp l’arrete
aver sa boite et lui dit:—Qu’est-ce
que vous avez donc serre la dedans?
“Smiley dit d’un air indifferent:—Cela
pourrait etre un perroquet ou un serin, mais ce n’est
rien de pareil, ce n’est qu’une grenouille.
“L’individu la prend, la regarde avec
soin, la tourne d’un cote et de l’autre
puis il dit.—Tiens! en effet! A quoi
estelle bonne?
“—Mon Dieu! repond Smiley, toujours
d’un air degage, elle est bonne pour une chose
a mon avis, elle peut battre en sautant toute grenouille
du comte de Calaveras.
“L’individu reprend la boite, l’examine
de nouveau longuement, et la rend a Smiley en disant
d’un air delibere:—Eh bien! je ne
vois pas que cette grenouille ait rien de mieux qu’aucune
grenouille.
“—Possible qua vous ne le voyiez
pat, dit Smiley, possible que vous vous entendiez
en grenouilles, possible que vous ne vous y entendez
point, possible qua vous avez de l’experience,
et possible que vous ne soyez qu’un amateur.
De toute maniere, je parie quarante dollars qu’elle
battra en sautant n’importe quelle grenouille
du comte de Calaveras.