La Légende des Siècles eBook

This eBook from the Gutenberg Project consists of approximately 268 pages of information about La Légende des Siècles.

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  Et la maison se tait toujours.—­Ah!  Dieu! dit-elle,
  Comme elle dort, qu’il faut l’appeler si longtemps!—­
  La porte, cette fois, comme si, par instants,
  Les objets etaient pris d’une pitie supreme,
  Morne, tourna dans l’ombre et s’ouvrit d’elle-meme.

VI

  Elle entra.  Sa lanterne eclaira le dedans
  Du noir logis muet au bord des flots grondants. 
  L’eau tombait du plafond comme des trous d’un crible.

  Au fond etait couchee une forme terrible;
  Une femme immobile et renversee, ayant
  Les pieds nus, le regard obscur, l’air effrayant;
  Un cadavre;—­autrefois, mere joyeuse et forte;—­
  Le spectre echevele de la misere morte;
  Ce qui reste du pauvre apres un long combat. 
  Elle laissait, parmi la paille du grabat,
  Son bras livide et froid et sa main deja verte
  Pendre, et l’horreur sortait de cette bouche ouverte
  D’ou l’ame en s’enfuyant, sinistre, avait jete
  Ce grand cri de la mort qu’entend l’eternite!

  Pres du lit ou gisait la mere de famille,
  Deux tout petits enfants, le garcon et la fille,
  Dans le meme berceau souriaient endormis.

  La mere, se sentant mourir, leur avait mis
  Sa mante sur les pieds et sur le corps sa robe,
  Afin que, dans cette ombre ou la mort nous derobe,
  Ils ne sentissent plus la tiedeur qui decroit,
  Et pour qu’ils eussent chaud pendant qu’elle aurait froid.

VII

  Comme ils dorment tous deux dans le berceau qui tremble! 
  Leur haleine est paisible et leur front calme.  Il semble
  Que rien n’eveillerait ces orphelins dormant,
  Pas meme le clairon du dernier jugement;
  Car, etant innocents, ils n’ont pas peur du juge.

  Et la pluie au dehors gronde comme un deluge. 
  Du vieux toit crevasse, d’ou la rafale sort,
  Une goutte parfois tombe sur ce front mort,
  Glisse sur cette joue et devient une larme. 
  La vague sonne ainsi qu’une cloche d’alarme. 
  La morte ecoute l’ombre avec stupidite. 
  Car le corps, quand l’esprit radieux l’a quitte,
  A l’air de chercher l’ame et de rappeler l’ange;
  Il semble qu’on entend ce dialogue etrange
  Entre la bouche pale et l’oeil triste et hagard: 
  —­Qu’as-tu fait de ton souffle?—­Et toi, de ton regard?

  Helas! aimez, vivez, cueillez les primeveres,
  Dansez, riez, brulez vos coeurs, videz vos verres. 
  Comme au sombre ocean arrive tout ruisseau,
  Le sort donne pour but au festin, au berceau,
  Aux meres adorant l’enfance epanouie,
  Aux baisers de la chair dont l’ame est eblouie,
  Aux chansons, au sourire, a l’amour frais et beau. 
  Le refroidissement lugubre du tombeau!

VIII

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