La Légende des Siècles eBook

This eBook from the Gutenberg Project consists of approximately 268 pages of information about La Légende des Siècles.

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  Le trouvait si hideux qu’elle le refusait;
  Les enfants le voulaient saisir dans un lacet,
  Mais il leur echappa, glissant le long des haies;
  L’orniere etait beante, il y traina ses plaies
  Et s’y plongea sanglant, brise, le crane ouvert,
  Sentant quelque fraicheur dans ce cloaque vert,
  Lavant la cruaute de l’homme en cette boue;
  Et les enfants, avec le printemps sur la joue,
  Blonds, charmants, ne s’etaient jamais tant divertis. 
  Tous parlaient a la fois, et les grands aux petits
  Criaient:  Viens voir! dis donc, Adolphe, dis donc, Pierre,
  Allons pour l’achever prendre une grosse pierre! 
  Tous ensemble, sur l’etre au hasard execre,
  Ils fixaient leurs regards, et le desespere
  Regardait s’incliner sur lui ces fronts horribles. 
  —­Helas! ayons des buts, mais n’ayons pas de cibles;
  Quand nous visons un point de l’horizon humain,
  Ayons la vie, et non la mort, dans notre main.—­
  Tous les yeux poursuivaient le crapaud dans la vase;
  C’etait de la fureur et c’etait de l’extase;
  Un des enfants revint, apportant un pave
  Pesant, mais pour le mal aisement souleve,
  Et dit:—­Nous allons voir comment cela va faire.—­
  Or, en ce meme instant, juste a ce point de terre,
  Le hasard amenait un chariot tres lourd
  Traine par un vieux ane ecloppe, maigre et sourd;
  Cet ane harasse, boiteux et lamentable,
  Apres un jour de marche approchait de l’etable;
  Il roulait la charrette et portait un panier;
  Chaque pas qu’il faisait semblait l’avant-dernier;
  Cette bete marchait, battue, extenuee;
  Les coups l’enveloppaient ainsi qu’une nuee;
  Il avait dans ses yeux voiles d’une vapeur
  Cette stupidite qui peut-etre est stupeur;
  Et l’orniere etait creuse, et si pleine de boue
  Et d’un versant si dur, que chaque tour de roue
  Etait comme un lugubre et rauque arrachement;
  Et l’ane allait geignant et l’anier blasphemant;
  La route descendait et poussait la bourrique;
  L’ane songeait, passif, sous le fouet, sous la trique,
  Dans une profondeur ou l’homme ne va pas.

Les enfants, entendant cette roue et ce pas,
Se tournerent bruyants et virent la charrette: 
—­Ne mets pas le pave sur le crapaud.  Arrete! 
Crierent-ils.  Vois-tu, la voiture descend
Et va passer dessus, c’est bien plus amusant.

Tous regardaient.

Soudain, avancant dans l’orniere

Ou le monstre attendait sa torture derniere,
L’ane vit le crapaud, et, triste,—­helas! penche
Sur un plus triste,—­lourd, rompu, morne, ecorche,
Il sembla le flairer avec sa tete basse;
Ce forcat, ce damne, ce patient, fit grace;
Il rassembla sa force eteinte, et, roidissant
Sa chaine et son licou sur ses muscles en sang,
Resistant a l’anier qui lui criait:  Avance! 
Maitrisant du fardeau l’affreuse connivence,
Avec sa lassitude acceptant le combat,
Tirant le chariot et soulevant le bat,
Hagard il detourna la roue inexorable,
Laissant derriere lui vivre ce miserable;
Puis, sous un coup de fouet, il reprit son chemin.

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