La Légende des Siècles eBook

This eBook from the Gutenberg Project consists of approximately 268 pages of information about La Légende des Siècles.

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  L’homme est en mer.  Depuis l’enfance matelot,
  Il livre au hasard sombre une rude bataille. 
  Pluie ou bourrasque, il faut qu’il sorte, il faut qu’il aille,
  Car les petits enfants ont faim.  Il part le soir,
  Quand l’eau profonde monte aux marches du musoir. 
  Il gouverne a lui seul sa barque a quatre voiles. 
  La femme est au logis, cousant les vieilles toiles,
  Remmaillant les filets, preparant l’hamecon,
  Surveillant l’atre ou bout la soupe de poisson,
  Puis priant Dieu sitot que les cinq enfants dorment. 
  Lui, seul, battu des flots qui toujours se reforment,
  Il s’en va dans l’abime et s’en va dans la nuit. 
  Dur labeur! tout est noir, tout est froid; rien ne luit. 
  Dans les brisants, parmi les lames en demence;
  L’endroit bon a la peche, et, sur la mer immense,
  Le lieu mobile, obscur, capricieux, changeant,
  Ou se plait le poisson aux nageoires d’argent,
  Ce n’est qu’un point; c’est grand deux fois comme la chambre. 
  Or, la nuit, dans l’ondee et la brume, en decembre,
  Pour rencontrer ce point sur le desert mouvant,
  Comme il faut calculer la maree et le vent! 
  Comme il faut combiner surement les manoeuvres! 
  Les flots le long du bord glissent, vertes couleuvres;
  Le gouffre roule et tord ses plis demesures
  Et fait raler d’horreur les agres effares. 
  Lui songe a sa Jeannie, au sein des mers glacees,
  Et Jeannie en pleurant l’appelle; et leurs pensees
  Se croisent dans la nuit, divins oiseaux du coeur.

III

  Elle prie, et la mauve au cri rauque et moqueur
  L’importune, et, parmi les ecueils en decombres,
  L’ocean l’epouvante, et toutes sortes d’ombres
  Passent dans son esprit, la mer, les matelots
  Emportes a travers la colere des flots. 
  Et dans sa gaine, ainsi que le sang dans l’artere,
  La froide horloge bat, jetant dans le mystere,
  Goutte a goutte, le temps, saisons, printemps, hivers;
  Et chaque battement, dans l’enorme univers,
  Ouvre aux ames, essaims d’autours et de colombes,
  D’un cote les berceaux et de l’autre les tombes. 
  Elle songe, elle reve,—­et tant de pauvrete! 
  Ses petits vont pieds nus l’hiver comme l’ete. 
  Pas de pain de froment.  On marge du pain d’orge. 
  —­O Dieu! le vent rugit comme un soufflet de forge,
  La cote fait le brut d’une enclume, on croit voir
  Les constellations fuir dans l’ouragan noir
  Comme les tourbillons d’etincelles de l’atre. 
  C’est l’heure ou, gai danseur, minuit rit et folatre
  Sous le loup de satin qu’illuminent ses yeux,
  Et c’est l’heure ou minuit, brigand mysterieux,
  Voile d’ombre et de pluie et le front dans la bise,
  Prend un pauvre marin frissonnant et le brise
  Aux rochers monstrueux apparus brusquement.—­
  Horreur! l’homme dont l’onde eteint le hurlement
  Sent fondre et s’enfoncer le batiment qui plonge;
  Il sent s’ouvrir sous lui l’ombre et l’abime, et songe
  Au vieil anneau de fer du quai plein de soleil!

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