La Légende des Siècles eBook

This eBook from the Gutenberg Project consists of approximately 268 pages of information about La Légende des Siècles.

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  C’est lui; l’homme en qui vit et tremble le royaume. 
  Si quelqu’un pouvait voir dans l’oeil de ce fantome,
  Debout en ce moment l’epaule contre un mur,
  Ce qu’on apercevrait dans cet abime obscur,
  Ce n’est pas l’humble enfant, le jardin, l’eau moiree
  Refletant le ciel d’or d’une claire soiree,
  Les bosquets, les oiseaux se becquetant entre eux. 
  Non; au fond de cet oeil, comme l’onde vitreux,
  Sous ce fatal sourcil qui derobe a la sonde
  Cette prunelle autant que l’ocean profonde,
  Ce qu’on distinguerait, c’est, mirage mouvant,
  Tout un vol de vaisseaux en fuite dans le vent,
  Et, dans l’ecume, au pli des vagues, sous l’etoile,
  L’immense tremblement d’une flotte a la voile,
  Et, la-bas, sous la brume, une ile, un blanc rocher,
  Ecoutant sur les flots ces tonnerres marcher.

  Telle est la vision qui, dans l’heure ou nous sommes,
  Emplit le froid cerveau de ce maitre des hommes,
  Et qui fait qu’il ne peut rien voir autour de lui. 
  L’armada, formidable et flottant point d’appui
  Du levier dont il va soulever tout un monde,
  Traverse en ce moment l’obscurite de l’onde;
  Le roi, dans son esprit, la suit des yeux, vainqueur,
  Et son tragique ennui n’a plus d’autre lueur.

  Philippe deux etait une chose terrible. 
  Iblis dans le Coran et Cain dans la Bible
  Sont a peine aussi noirs qu’en son Escurial
  Ce royal spectre, fils du spectre imperial. 
  Philippe deux etait le Mal tenant le glaive. 
  Il occupait le haut du monde comme un reve. 
  Il vivait; nul n’osait le regarder; l’effroi
  Faisait une lumiere etrange autour du roi;
  On tremblait rien qu’a voir passer ses majordomes;
  Tant il se confondait, aux yeux troubles des hommes,
  Avec l’abime, avec les astres du ciel bleu! 
  Tant semblait grande a tous son approche de Dieu! 
  Sa volonte fatale, enfoncee, obstinee,
  Etait comme un crampon mis sur la destinee;
  Il tenait l’Amerique et l’Inde, il s’appuyait
  Sur l’Afrique, il regnait sur l’Europe, inquiet
  Seulement du cote de la sombre Angleterre;
  Sa bouche etait silence et son ame mystere;
  Son trone etait de piege et de fraude construit;
  Il avait pour soutien la force de la nuit;
  L’ombre etait le cheval de sa statue equestre. 
  Toujours vetu de noir, ce tout-puissant terrestre
  Avait l’air d’etre en deuil de ce qu’il existait;
  Il ressemblait au sphinx qui digere et se tait,
  Immuable; etant tout, il n’avait rien a dire. 
  Nul n’avait vu ce roi sourire; le sourire
  N’etant pas plus possible a ces levres de fer
  Que l’aurore a la grille obscure de l’enfer. 
  S’il secouait parfois sa torpeur de couleuvre,
  C’etait pour assister le bourreau dans son oeuvre,
  Et sa prunelle avait pour clarte le reflet
  Des buchers sur lesquels par moments il soufflait. 
  Il etait redoutable a la pensee, a l’homme,

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